Depuis la fin du XVIIIe siècle, la description géographique est effectuée à travers deux modes de découpages : la grille des divisions administratives d’une part, forte de l’enregistrement des données statistiques ; celle des bassins fluviaux d’autre part, qui souligne les lignes de crête et de partage des eaux, survivance malgré sa précoce disqualification de la théorie de Philippe Buache, abondamment relayée par la cartographie.
« Il serait d’une haute prévoyance de substituer à un mécanisme tendu et rigide un organisme plus souple empruntant à la vie quelque chose de la force de résistance qu’elle prête à toutes ses créations. »
À la fin du XIXe siècle, la domination parisienne et la centralisation française, à leur apogée, suscitent un vaste mouvement de contestation politique et culturelle. Les milieux littéraires animent le « réveil des provinces », souvent empreint de nostalgie, tandis que les représentants du monde de la production et du commerce se mobilisent en faveur d’un régionalisme économique aux aspirations modernistes.
Après avoir défendu une régionalisation fondée sur la géologie (1888), Vidal de la Blache découvre d’autres formes de cohérence régionale. Observateur des faits d’actualité, il remarque le mouvement spontané d’association régionale qu’effectue le monde de la production agricole et industrielle, de la banque et des communications. Voyageant en Amérique, il remarque la rapidité et la concentration des échanges et des flux. Il identifie le rôle des villes dans la polarisation des activités. Il forge alors la notion de « groupement régional » attentive à l’économie et à l’influence urbaine. Agissant comme expert, il propose une nouvelle organisation fondée sur 17 régions animées par une capitale (1910).
L’évolution des découpages
La carte des bassins se retrouve encore, modernisée, dans les atlas scolaires publiés par Émile Levasseur ; le cadre des anciennes provinces est aussi, parfois, respecté.
Dès 1888, Vidal de la Blache affirme la nécessité d’abandonner ces cadres artificiels ou fantaisistes et de fonder la géographie sur un principe de division rationnel, le soubassement géologique, point de départ d’une combinaison de phénomènes naturels et humains. La région naturelle tend alors à devenir le paradigme de la géographie.
Vidal, expert ès régionalisation
Vidal est sollicité comme expert pour collaborer à la préparation de plusieurs projets de régionalisation : fédération des syndicats d’initiative en unions régionales (1904-1905), création de régions administratives dotées d’assemblées élues, à l’initiative du président du Conseil Aristide Briand (1910), projet de suppression des arrondissements (1917). Dans le projet de découpage de la France en 17 régions (1910), les départements sont conservés.
Au-delà de ces tentatives inabouties d’expertise, la lecture régionale de Vidal de la Blache est suffisamment innovante et accordée aux évolutions du temps pour inspirer la création des premières régions économiques par le ministre du Commerce et de l’Industrie Étienne Clémentel (1917). Les régions de programme de 1964, consacrées plus tard sous la forme de collectivités territoriales, bien que plus nombreuses et d’un tracé souvent différent, ne sont pas sans rappeler les régions vidaliennes de 1910.
Dans la réforme territoriale de 2015, le nombre et le gabarit des régions se rapprochent de ceux des « groupements régionaux » de 1910.
