« Ses élèves de l’École normale et de la Sorbonne, après trente ans et plus, n’ont pas oublié la joie qu’étaient nombre de ses leçons. Joie qu’il fallait attendre. Dès l’abord, l’exposé se montrait substantiel mais sec et froid comme l’apparence du maître qui ne regardait jamais ses auditeurs. Peu à peu il s’animait. Parfois, c’était seulement vers la fin du cours, au moment où il allait commenter les images projetées sur l’écran, comme s’il avait besoin d’une semi-obscurité pour consentir à se livrer : longue silhouette fine et robuste, physionomie qui nous rappelait les portraits de Fromentin, personnalité ardente sous une distinction glacée, mystérieuse, un peu étrange, qui perçait malgré elle dans le professeur. Une photographie lui donnait l’occasion d’analyser un paysage avec ce mélange, dont il eut le secret, de science et de poésie. »

Jules Sion, 1934

L’enseignement de la géographie a d’abord été porté, tant en France qu’à l’étranger, par des courants modernisateurs, efficaces dès la fin de l’Empire, puis par le nationalisme et le colonialisme. Le choc de la défaite de 1871 et de la Commune a amplifié son rôle dans l’établissement d’un consensus républicain.
La carrière de P. Vidal de la Blache a bénéficié de la remontée de la demande de géographie, depuis l’école élémentaire jusqu’à l’Université, censée former les futurs enseignants et diffuser un message scientifique. L’intérêt qu’il a accordé à l’enseignement ne s’est pas démenti, depuis les premiers travaux qui restent attachés à son nom, la collection des cartes murales Vidal-Lablache éditée par Armand Colin, à partir de 1885, jusqu’à ses conférences pédagogiques pour les élèves de l’ENS dans les années 1910. Ses cours à l’École normale supérieure de jeunes filles de Fontenay-aux-Roses, préparant les professeurs d’écoles normales d’institutrices, ont été publiés sous le titre La Terre (1883) et États et nations de l’Europe. Autour de la France (1889). À partir de 1890 il s’adonne plus à un rôle de savant, avec son travail sur l’Atlas général et sa revue les Annales de géographie. Il apparaît toutefois comme un grand rénovateur de la géographie et, de plus en plus, à partir de la fin du XIXe siècle, ses propos sont cités par les pédagogues et auteurs de manuels.

Les grands acteurs

Émile Levasseur (1828-1911) et Louis-Auguste Himly (1823-1906), chargés par Jules Simon d’une enquête sur l’enseignement de l’histoire et la géographie en 1871, font un rapport accablant. Immédiatement après, le ministre les charge de rédiger les programmes de géographie pour les lycées, où elle devient obligatoire dans les deux cycles.

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Émile Levasseur
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Louis-Auguste Himly

Le grand inspirateur de la politique scolaire de la Troisième République est certes Jules Ferry (1832-1893). Elle a été aussi le fait d’une haute administration active. Ainsi Louis Liard (1846-1917) a été l’infatigable rénovateur de l’Université, tant pour son organisation que pour le développement de nouvelles disciplines et une politique immobilière. Comme recteur de l’académie de Paris, il a créé à partir de 1908 ce qui deviendra le Campus Curie qui, sur la Montagne Sainte-Geneviève, devait doubler la Nouvelle Sorbonne devenue très vite exiguë. Son buste y a été érigé à deux pas de l’Institut de géographie, dont il a soutenu la construction dès 1912 grâce aux dons de la marquise Arconati-Visconti (un médaillon de la façade rend hommage à celle-ci).

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Jules Ferry (Musée Pierre Noël)
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Louis Liard

L’éditeur Armand Colin (1842-1900) est l’un des soutiens du régime républicain et de sa politique d’instruction publique. Il a multiplié les initiatives en matière pédagogique. Mais il a aussi engagé Vidal de la Blache à publier un atlas (1890-1894), puis une revue, les Annales de géographie (1891). Au vu de l’accueil de l’Atlas général Vidal-Lablache. Histoire et géographie, il a créé la version scolaire sur le même modèle, qui a eu un énorme succès.

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Armand Colin

Les lieux centraux

Normalien (1863-1866) puis Athénien, Vidal de la Blache est pendant vingt ans maître de conférences à l’École normale de la rue d’Ulm (1877-1898).

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L’École normale supérieure en 1867
Bibliothèque de l’ENS

Il entre à la Sorbonne en 1898, et intitule sa chaire « chaire de géographie » et non plus de « géographie historique ».

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La Nouvelle Sorbonne, inaugurée en 1895

Patron reconnu de l’« école française de géographie », il est amené à détailler les futurs équipements de l’Institut de géographie, pour sa partie dévolue à la faculté des Lettres.

Commencé avant la guerre, resté sans toiture plusieurs années, l’Institut de géographie sera inauguré en 1927 avec Lucien Gallois puis Emmanuel de Martonne comme premiers directeurs.

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« Programme de l’Institut de géographie » : lettre manuscrite de Vidal de la Blache pour définir les « services propres à la Faculté des Lettres » (19 janvier 1913)
Archives rectorales (Paris)
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L’Institut de géographie, rue Saint-Jacques, dans l’entre-deux-guerres

Des collections pour enseigner la géographie

La classe, l’élève, le globe, la carte murale : un clin d’œil appuyé entre auteurs de la même maison d’édition.

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Un manuel pour l’enseignement primaire : Collection Foncin, 1920. Source : EHGO

« Si pénétré qu’on soit de l’utilité de cette nomenclature, on ne peut s’empêcher de penser […] qu’il y a un meilleur usage à faire du temps des élèves que de leur enseigner de simples noms », dit Vidal en 1905… Les premiers exemplaires de sa collection de cartes murales Armand Colin (1885) soumettent pourtant l’élève à l’apprentissage des « termes de géographie », un exercice critiqué à l’époque car ne faisant appel qu’à la mémoire. Ces planches de paysages fictifs ont d’ailleurs été oubliées… hormis des artistes d’aujourd’hui, séduits par leur capacité à libérer des imaginaires de l’espace. Mais le dessin et la gamme des détails figurant sur ces cartes sont de qualité exceptionnelle.

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Carte murale Librairie Armand Colin, Collection Vidal-Lablache, n° 1bis - Termes géographiques (extrait). Source : EHGO

Surtout, Vidal accompagne ses cartes murales d’une série de fascicules pour l’enseignant qui fait de cette collection un instrument pédagogique de grande utilité à l’école primaire comme dans le secondaire et l’enseignement spécial. Nombre d’entre elles préfigurent les planches de son atlas.

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Carte murale Librairie Armand Colin, Collection Vidal-Lablache, n° 7 France. Chemins de fer. Source : EHGO