« M. Vidal de la Blache, comme jadis Ritter, a donné la forme cartographique aux idées maîtresses de son enseignement. »

Bertrand Auerbach, 1894

Avec ses planches composées d’une carte principale entourée de cartons thématiques, de coupes hypsométriques, de quelques graphiques et souvent d’un petit planisphère, le tout systématiquement commenté par une légende en bas de page, l’Atlas général Vidal-Lablache, Histoire et Géographie constitue une nouveauté à son époque (1890-1894).
Par ce dispositif iconographique, Vidal de la Blache veut promouvoir une « vue raisonnée » du monde. Il privilégie la « caractéristique » des lieux représentés plutôt que la nomenclature.
La préface qui ouvre l’atlas est un manifeste pour une méthode géographique nouvelle.
Ses collègues et élèves, tel Bertrand Auerbach, voient dans cet atlas l’« expression figurée de la science géographique ». Ils empruntent à sa suite une démarche de géographie régionale qui vise à montrer comment les faits naturels et les faits humains, en se combinant, confèrent à chaque contrée sa physionomie particulière.
Cet atlas fut pour Vidal de la Blache la première étape vers la notoriété.

Une Suisse exemplaire

La planche consacrée à la Suisse illustre magnifiquement les principes exposés dans la Préface de l’atlas. Vidal y affirme vouloir « placer sous les yeux l’ensemble des traits qui caractérisent une contrée, afin de permettre à l’esprit d’établir entre eux une liaison ». Il juxtapose à cet effet cartes physiques et cartes humaines et économiques, entourant la carte centrale par six cartons. Chacun de ceux-ci recouvre un espace différent, allant du planisphère à la Suisse propre en passant par les pays alpestres.
Premier précepte : autant de phénomènes primordiaux (le relief, les productions économiques, l’organisation politique, la diversité linguistique et religieuse…), autant de cartes.
D’un pays à l’autre, d’une planche à l’autre, le choix des thèmes analysés varie, pour épouser la diversité du monde, et plus précisément pour viser ce qui est compris alors comme l’incomparable particularité de chaque cas.
Deuxième précepte : à chaque phénomène son espace de référence, le territoire suisse pour la division cantonale, un ensemble franco-italo-allemand pour l’appartenance linguistique, l’Europe de la Baltique à la Méditerranée pour les fleuves, et bien sûr le monde pour le commerce et la banque…
Objectif : la vue synoptique de l’ensemble doit permettre de combiner ces informations hétérogènes en une synthèse de la personnalité suisse. La planche cartographique permet donc à l’esprit de réaliser ce que l’école française de géographie appellera la « combinaison » ou la « synthèse » régionale.
Un principe d’universalité s’impose cependant car, selon Vidal, « aucune partie de la Terre ne porte en elle sa propre explication ». Cela implique d’élargir le cadre de toute enquête locale à d’autres parties du monde et de considérer le monde entier comme la référence indispensable, « en vertu de la généralité des lois terrestres ».
Par ce principe, Vidal de la Blache s’est distingué de ses anciens collègues attachés à la seule géographie locale, en tentant de développer conjointement l’étude régionale et la géographie générale. Un article contemporain de la publication de l’atlas, consacré au « Principe de la géographie générale » (1896), confirme cette orientation. À ce titre, Vidal de la Blache se consacrera à la géographie humaine, surtout à partir de 1898.

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Source : Atlas général Vidal-Lablache (1918)

L’Afrique en partage

Dans la partie géographique de l’Atlas général, l’Afrique figure en avant-dernière position, avant l’Amérique, mais par seulement 6 planches d’ensemble (alors que l’Amérique en compte 10, l’Asie 11, l’Europe 65, la France avec ses colonies 30).
Mal connue encore dans l’intérieur mais partagée entre les puissances européennes, elle donne lieu ici à un modeste « essai » de géographie économique et à une carte des explorations, des cartes reprises et complétées d’édition en édition. Au cours de ces rééditions, les blancs de la carte, qui demeurent encore en 1894 et qui figurent en îlots de « régions inexplorées » dans l’édition de 1912, disparaissent progressivement.

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Atlas général Vidal-Lablache (1918)

Le Grand Océan, l’Empire, le bouclage du monde

La planche Océan pacifique précise les formes et profondeurs de cet « Océan par excellence ». C’est aussi, dans cette édition de 1918, une carte politique. Les États sont représentés par des couleurs distinctes ; les colonies sont repérées par l’initiale de leur métropole. Une trace d’ethnocentrisme apparaît par des références redoublées à la France : les possessions françaises sont distinguées du reste et un carton représente la France « à l’échelle de la carte ». Certes, ce carton permet d’apprécier les dimensions relatives. Il révèle aussi que Vidal de la Blache a recours à plusieurs systèmes de représentation, à côté de la référence universelle figurée par une mappemonde ou un planisphère : ici, le découpage impérial du monde, avec l’une de ses métropoles, la Grande-Bretagne figurant aussi à ce titre dans l’atlas.
Mais la légende édulcore les enjeux de l’impérialisme et les affrontements qui peuvent en naître. Vidal note simplement : « Dans ce bassin universel se rencontrent Européens, Américains et Chinois, l’Orient et l’Occident du globe. »
Cette planche a pour sous-titre « Câbles, lignes de navigation ». Comme le montre, à partir de l’édition de 1912 seulement, la représentation spéciale de la petite mappemonde située au bas de la planche « Grandes voies de communication », c’est dans le Pacifique que s’opère à l’époque le « bouclage » du monde. Vidal est attentif à ce premier réseau de télécommunication(s) qui ne forme pas encore une « toile ». Mais les lignes maîtresses y sont en place, à la veille de la première Guerre mondiale.

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Atlas général Vidal-Lablache (1918)