« La dernière phase de l’histoire des communications est caractérisée par l’intense collaboration du rail et de la navigation à vapeur. La soudure des courants continentaux aux courants maritimes tend à se faire de plus en plus en un nombre limité de points d’élection qui prennent le caractère d’emporia mondiaux. »

Paul Vidal de la Blache, 1922
2f4f4476cf6ff42586b13f1b0042f29a7c105f96
« Grandes voies de communication », Atlas général Vidal-Lablache, 1912.

Ville et circulation vont toujours de pair chez Vidal de la Blache. Lieu d’échanges et de contacts, la ville est aussi synonyme de civilisation. À l’échelle du monde, sa planche des voies de communication souligne les flux qui traversent océans et isthmes, avec ses foyers principaux d’Europe et des États-Unis et l’inégale accessibilité de l’intérieur des continents.Aux pays de villes, il oppose ceux, tels l’Asie ou l’Afrique, où dominent les villages et le peuplement rural, et il leur attribue une organisation politique primitive. Il méconnaît par-là les traditions urbaines non-occidentales. De l’Ancien au Nouveau Monde, Vidal décrit des générations de villes. À ses yeux, la série américaine, qu’il observe in situ en 1904 et en 1912, constitue la forme achevée de la modernité.

Naples et les vieux sites urbains

« Depuis 3000 ans les villes se succèdent aux abords ou dans l’intérieur du golfe : Cumes après Ischia, Pouzzoles après Dicæarchia, Neapolis après Palæopolis. Miséne était le point désigné par Auguste à la flotte chargée de veiller sur la mer Tyrrhénienne. […] Au nord se dessinent intactes deux baies séparées par le promontoire de Pausilippe. La plus occidentale est celle de Pouzzoles, qui fut sous l’Empire romain le grand emporium de l’Italie ; l’autre est celle de Naples. »

États et nations de l’Europe. Autour de la France (1889)

b6b290c910eab0c4fc9ef921fa5b5e870ca34b02
Reclus É., 1876, L’Europe méridionale. Nouvelle géographie universelle : la Terre et les Hommes, Hachette.

Les réseaux de villes flamandes

« Même dans les villes mortes, la place vaste et irrégulière, faite pour les rassemblements populaires, évoque le souvenir des foules d’autrefois. Ces villes ont été en guerre, mais aussi en relations constantes de commerce, d’institutions, d’art et de fêtes. Par-dessus les différences de langues et de frontières, qui ne nous paraissent si fortes que parce que nous les voyons par les cartes plutôt que dans la réalité vivante, elles continuent à fraterniser. Une certaine joyeuseté anime cette vie urbaine. Tournai échange avec Lille des quolibets plus goguenards qu’injurieux. La reuse de Dunkerque rend visite au gayant de Douai. Une sorte de folklore citadin, surtout développé dans les dialectes populaires, rouchi et wallon, a inspiré des poètes, des chansonniers, surtout des dictons moqueurs d’une ville à l’autre. Tant il vrai que, dans toutes les associations humaines, l’imagination a sa part ! »

Tableau de la géographie de la France (1903)

8f18f84309c789b5db575e178a44af63a2824f8e
Foncin P., 1903, Lectures géographiques illustrées, Armand Colin.

La Cité de Londres

« À Londres bien plus longtemps qu’à Paris tout le développement de la capitale se résuma dans ce qu’on appelle la Cité. Elle est restée encore aujourd’hui le centre des affaires ; là sont groupés la poste, la douane, la salle des corporations (Guildhall) ou hôtel de ville, les cours de justice, dans lesquelles on ne retrouverait plus, depuis les transformations récentes qui en ont changé l’aspect, le sombre quartier de la procédure et de la chicane décrit par Dickens. Là sont les comptoirs, les agences, le siège des compagnies, etc. Pendant la journée elle s’emplit d’un fourmillement énorme, qui dès le soir, les affaires terminées, fait place à la solitude et au silence. […] Les bateaux et les chemins de fer emportent chaque soir vers leurs quartiers éloignés ou leurs villas, dans toutes les directions, les négociants, aussi exacts à regagner le lendemain ce lieu de rendez-vous qu’empressés à la fuir, dès que l’heure a sonné de remplacer par la vie de famille la vie d’affaires. »

États et nations de l’Europe. Autour de la France (1889)

piccadillycircus1896
Picadilly Circus, 1896 (Gallica)

Berlin centre d’Empire

« L’accroissement de Berlin est loin d’être un fait isolé ; il répond à des conditions générales et profondes, qui se font sentir d’un bout à l’autre de l’Empire. Il ne semble pas prêt de s’arrêter. En effet, malgré les traditions et un ensemble d’habitudes qui luttent contre la centralisation, il est dans la force des choses que Berlin attire une part de plus en plus grande du mouvement de l’industrie et des affaires. La Bourse de Berlin a dépassé celle de Francfort, et est devenue le plus important marché de capitaux pour le Nord et l’Est de l’Europe. Quoique les environs immédiats soient encore faiblement peuplés, Berlin est un nœud de communication de premier ordre. Dix grandes lignes de chemins de fer y convergent, et la capitale elle-même est traversée de part en part, à travers ses quartiers les plus populeux, par un métropolitain. Entre Hambourg et Breslau, Stettin et Leipzig, Berlin occupe le centre. Elle est à moitié route entre Cologne et Varsovie. »

États et nations de l’Europe. Autour de la France (1889)

pl7-berlin-a-bahnhof_friedrichstrasse_1900-copie
d.r.

Les lumières de la ville américaine

«  Les villes semblent sombres. La lumière du jour pénètre mal dans ces rues et surtout dans ces édifices tout en profondeur, où la place réclamée par l’escalier appartient à des ascenseurs, donnant accès à d’interminables couloirs. La lumière artificielle tient lieu de la vraie. Elle fait partie, au même titre qu’ascenseurs, téléphones, machines à écrire, etc., de cet outillage mécanique qui est entré dans les habitudes. Il ne semble pas qu’on fasse effort pour ménager à l’air et à la lumière le libre accès qui, à nos yeux, est la première beauté d’un édifice. Derrière de superbes façades, les gares ne sont souvent que de noires cavernes enfumées. Le triomphe de la rue, dans ces grandes villes, est le soir, quand, du haut en bas de ces colosses, s’allument les réclames, quelques-unes flamboyant comme des phares au sommet d’une tour. Les lettres grimpent en girandoles lumineuses le long des façades ; les divers métiers cherchent à se distinguer à l’envi. J’ai longtemps été poursuivi par le souvenir de certain œil monstrueux aux paupières mouvantes, qui dans les rues de Chicago, signalait le soir les boutiques d’oculistes »

« À travers l’Amérique du Nord », Revue de Paris (1905)

18be031220295ed5dcf543481e70554a48276d27
Indianapolis au début du XXe siècle (IHS)